L'absente...

C'est la part manquante, celle qu'on nomme désir, le mécanisme fragile et caché. Ce texte dérive depuis longtemps, il apparaît et disparaît, détaché du reste...

Londres, avril 2007

- Quoi encore ? .....
Il la regardait à la dérobée. Peut-être parlait-elle, mais sur son visage nulle bienveillance à l’égard de ce qu’elle disait, nul consentement à parler, une affirmation à peine vivante, une souffrance à peine parlante. Il aurait voulu avoir le droit de lui dire : “Cesse de parler si tu veux que je t’entende.”...
- Quand je vous parle, c’est comme si toute la part de moi qui me couvre et me protège m’abandonnait et me laissait exposée et très faible . Où va cette part de moi ? Est-ce en vous ou se retourne-t-elle contre moi?

Elle donnait l’impression, quand elle parlait, de ne pas savoir relier les mots à la richesse d’un langage antérieur. Ils étaient sans histoire, sans rapport même avec sa vie à elle, ni la vie de personne. Pourtant, ils disaient ce qu’ils disaient avec une exactitude que seul leur manque d’équivoque rendait suspecte : comme s’ils avaient eu une signification unique hors de laquelle ils redevenaient silencieux ... Et il y avait eu ce jour où elle lui avait déclaré :

-Je sais à présent pourquoi je ne vous réponds pas. Vous ne m’interrogez pas.

- C’est vrai, je ne vous interroge pas comme il faut.

- Pourtant vous m’interrogez constamment, cela me fait trop à répondre...Vous écoutez l’histoire, comme s’il s’agissait de quelque chose d’émouvant, de remarquable, d’intéressant.

Il lui semblait, tant il l’épiait, qu’elle reculait insensiblement et l’attirait dans son mouvement de retrait...

-Vous ne vouliez pas vraiment savoir, je l’ai toujours senti...

Il s'enveloppait de ses mots, de ses confessions, se berçait dans ses abandons retenus. Insensiblement, une part s'était détachée de lui, autonome et égarée, il la laissait divaguer. Parfois, il résistait, cherchait à s'éloigner, il ne savait plus quand il avait commencé à se prendre pour un personnage de l'histoire. Il s'absentait souvent, assis, immobile, hagard.

Un matin, il s'est levé et il est parti sans se retourner. On ne l'a plus revu. On ne sait pas ce qu'elle est devenue. Elle n’était personne. Elle n’avait jamais existé et allait disparaître dans les ombres...


Ce texte est très largement inspiré de " L'attente, l'oubli" de Maurice Blanchot. Blanchot est un auteur silencieux, presque inaccessible.
Quand je commence ses romans et récits, j'ai l'impression de rentrer dans le texte, mais très vite les mots se dérobent, je me retrouve sur une terre inconnue et je suis obligé de rebrousser chemin. Cette année, ce livre s'est ouvert. Je ne pouvais pas le quitter des yeux. J'ai lu et relu ces phrases qui s'étaient mises à me parler, à moi, rien qu'à moi...